Un géologue moderne

 

Philippe Glangeaud, un géologue « moderne » : son apport à la connaissance du volcanisme d’Auvergne.

Pierre Boivin, septembre 2011

Philippe Glangeaud a fait ses études à la fin du XIXe siècle, époque marquée par l’introduction en géologie des approches physiques et chimiques (microscope polarisant, géochimie et expérimentation…), méthodes promues et améliorées par ses « maîtres » MM. Fouqué et Michel-Lévy. En particulier, pour la cartographie géologique, il a eu comme modèle Auguste Michel-Lévy, polytechnicien et directeur de 1888 à 1911 du service de la carte géologique de France. Il applique magistralement ces techniques de 1893 à 1901 dans le cadre d’études sur le mésozoïque d’Aquitaine et la bordure ouest du Massif Central, des Charentes au Lot-et-Garonne. Ses publications révèlent un géologue-stratigraphe très précis, chaque coupe de terrain étant parfaitement localisée, les altitudes et les épaisseurs des couches scrupuleusement notées. Il est également très attentif au faciès des formations, à leur disposition structurale, ainsi qu’aux éléments paléontologiques. Ces données de qualité lui permettent d’établir des corrélations solides d’une région à l’autre et de proposer des synthèses paléoenvironnementales convaincantes comme pour le portlandien du bassin de l’Aquitaine (1898).

En 1899, Philippe Glangeaud commence ses cours à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand. Dans son discours inaugural, il fait le point bibliographique des connaissances sur le Massif Central et souligne l’attraction scientifique des lieux. Cette motivation, qu’il souhaite partager avec ses élèves, ne le quittera plus : « À notre tour, Messieurs , nous parcourrons le cadre si gracieux et si éloquent des montagnes qui nous environnent. Il nous servira de thème continuel, et je ne doute pas que vous ne reveniez de vos courses émerveillés, enthousiasmés, sachant davantage et remplis d'une des rares joies qui ne laissent aucune amertume : celle d'avoir admiré et compris la nature. »

Philippe Glangeaud commence alors ses travaux sur l’Auvergne, en s’appuyant sur ceux de Fouqué, Michel-Lévy, Boule, Gonnard, Julien et ceux d’Alfred Lacroix, le « premier » volcanologue français.

La démarche scientifique de Philippe Glangeaud :

Philippe Glangeaud utilise tous les moyens de connaissance disponibles à son époque pour objectiver ses observations. Néanmoins, il défend que : « La synthèse doit être le but, le couronnement de toutes les sciences naturelles. Il ne suffit pas d'observer, d'accumuler un grand nombre de faits scientifiques, il faut les coordonner. Si cette tendance entraîne parfois à des hypothèses hasardeuses, elle a le grand mérite d'induire aux expériences synthétiques [c.-à-d. à la synthèse de roches et minéraux en laboratoire]. » (op. cit. 1899).

Cette volonté d’expliquer la nature et de se poser des questions fécondes, il l’érige plusieurs fois en programme de recherche :

« On ne s'était pas demandé, à ma connaissance, pourquoi [le volcan de Gravenoire] avait une situation aussi excentrique par rapport à la Chaîne des Puys; pourquoi, presque seul, il était situé sur le bord du grand bassin de la Limagne ? Quelles sont les raisons de cette situation, qui paraît si anormale au premier abord ? Quelle est, en un mot, l'origine de ce volcan ? » (Le volcan de Gravenoire et les sources minérales de Royat,1900).

« Les monts du Forez et le bassin de Montbrison ont été jadis le siège d'une activité volcanique assez considérable sur laquelle plusieurs géologues (Grüner, Le Verrier) ont déjà attiré l'attention. Mais on n'a signalé jusqu'ici que de simples « pointements de basalte », se faisant jour actuellement soit dans la région granitique et archéenne, soit dans la région oligocène. Aucune recherche n'avait été entreprise sur la nature et les conditions de sortie des laves, sur la constitution des anciens appareils éruptifs et sur leurs coulées, ainsi que sur l'âge, la genèse et les causes de démantèlement de ces anciens volcans. » (La région volcanique du Forez et ses roches, 1911).

Philippe Glangeaud et la connaissance des volcans d’Auvergne

De par sa spécialité, Philippe Glangeaud a naturellement contribué aux levés de plusieurs cartes géologiques au 80.000e du Massif Central et de ses marges : Angoulême, Bergerac, Brioude, Clermont-Ferrand, Montbrison, Périgueux, Rochechouart et Villeréal.

Mais il s’est plus particulièrement distingué en cartographiant en détail tous les volcans d’Auvergne (hormis ceux du Velay sur lesquels travaillait M. Boule) et il convient de souligner que ses cartes étaient accompagnées de monographies étoffées présentant à la fois le détail des observations de terrain, mais aussi une synthèse de ses conceptions sur la genèse et l’évolution des volcans concernés. Par exemple, en ce qui concerne la Chaîne des Puys, Philippe Glangeaud est le premier à la représenter au 50.000e (1913). Sur ce document, il distingue les différentes catégories de terrain volcanique (lave, scories) en fonction de leur composition chimique et de leur âge relatif. La précision et la justesse de ces levées resteront les meilleurs jusqu’aux éditions successives, à partir de 1974, de la Carte Volcanologique de la Chaîne des Puys (Boivin et al., 2009).

De plus, il décrit le fonctionnement de tous les grands types de volcans de la Chaîne des Puys ainsi que l’origine des divers lacs dont il a parfaitement reconnu, dès 1904, les relations avec le volcanisme (lac de cratère ou de barrage). Pour le plus fameux d’entre eux, le lac Pavin, il démontre définitivement son origine volcanique en 1916. Il est aussi le premier à chiffrer le volume des produits émis par la Chaîne et la valeur proposée de 8. 109 m3 n’a pas été sensiblement modifiée depuis.

Il a aussi été le premier à décrire le mode de fonctionnement hydrogéologique de la Chaîne des Puys, relief postiche masquant et protégeant un paléo-réseau hydrographique fonctionnel. Il suffit de lire une publicité pour les Eaux de Volvic pour constater que ce modèle est toujours en vigueur !

À l’image de la carte de la Chaîne des Puys, les travaux cartographiques de Philippe Glangeaud sont restés des références pendant un demi-siècle. Ils ont servi de base solide aux observations nouvelles qui ont pourtant bénéficié d’outils inconnus à son époque : photographies aériennes, géophysique, géochronologie isotopique et méthodes analytiques ponctuelles (microscope électronique à balayage, microsonde).

Cartographie du Plateau de Chateaugay par Glangeaud (1909)feuille de Clermont-Fd au 50.000

Fig : Cartographie du Plateau de Chateaugay par Glangeaud (1909) et détail de la feuille de Clermont-Fd au 50.000e (Source : Editions BRGM 1973). La différence la plus importante concerne la représentation des formations superficielles sur la carte de 1973. Sinon, hormis les contours plus détaillés sur cette dernière, les relations géologiques des terrains sont celles déjà décrites par Philippe Glangeaud.

De plus, nombre de ses concepts sont toujours d’actualité. C’est lui qui a, par exemple, défini pour la première fois et à partir de critères objectifs, les provinces volcaniques du Forez (1911), de la Limagne (1906a) et de la Sioule (1906b) comme il a reconnu l’individualité de l’Aiguillier et du Massif Adventif dans les Monts-Dore (1919a, 1919b). Il a aussi identifié l’alignement des volcans situés entre l’abrupt de la faille de la Limagne et celui de la Chaîne des Puys (1906c). Des travaux en cours sur cette observation tombée dans l’oubli pourraient bien finalement lui donner raison.

Il est, par ailleurs, piquant de remarquer que, grâce à la qualité de ses observations et à la rigueur de ses raisonnements, Philippe Glangeaud a pu établir que le Puy de Dôme avait été recouvert par les dépôts d’une éruption vulcanienne, issue d’un volcan situé à son pied (1914) et que les pépérites de Limagne étaient, pour l’essentiel, d’âge Miocène (1909). Pourtant, après sa mort, ces faits ont été négligés sinon niés! Il a fallu attendre les travaux de ces quarante dernières années pour en reconnaître l’exactitude.

 

Philippe Glangeaud et la grande faille de Limagne

 

Contemplant chaque jour l’abrupt de la Limagne depuis les fenêtres du laboratoire de géologie de l’Université de Clermont (fig. 12, p. 233, 1909), Philippe Glangeaud ne pouvait manquer de se poser des questions à son propos. De fait, ce fut sa première tâche et l’objet de sa publication inaugurale sur l’Auvergne, en 1900, un an après sa prise de fonction à Clermont-Ferrand. Il montre que l’abrupt s’explique par une faille majeure qui concerne aussi bien les sédiments que le socle et constitue le bord occidental de la Limagne ; il la nomme « cassure principale limitant la Limagne » et considère, selon les conceptions de l’époque, qu’elle a découpé le « synclinal » de Limagne formé dès l’Eocène en contrecoup des Alpes, dans la continuité des travaux de Julien et Michel-Lévy.

La comparaison avec les autres rifts (rift valley : concept géomorphologique introduit par J. W. Gregory en 1921, à propos du rift est-africain), dont celui du Rhin, ne l’a guère détrompé puisque l’origine de ces structures étaient généralement expliquées par des plis avec effondrement de la clé de voûte. Cette notion de plis, de synclinaux (Glangeaud parle aussi de géosynclinal pour la Limagne) et d’anticlinaux redécoupés par des failles perdure jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est qu’avec les progrès de la géophysique, et surtout la « révolution » de la tectonique des plaques dans le dernier quart du XXe siècle, que ces mégastructures dues à l’étirement de la lithosphère seront comprises et que le puzzle des failles inventorié par Philippe Glangeaud trouvera sa cohérence.

En conclusion

Philippe Glangeaud, de par ses méthodes de travail objectives, a collecté un ensemble d’observations qui gardent toute leur pertinence au regard de la science d’aujourd’hui. De même, dans le domaine de la géologie appliquée et plus particulièrement de l’hydrogéologie, aspects non développés ici, il a suscité la réalisation de nombreux ouvrages encore fonctionnels aujourd’hui.

Bibliographie

Boivin P.,  Besson J.-C., Briot D., Camus G., Goër de Herve A. de, Gourgaud A., Labazuy P., Langlois E., Larouzière F.-D. de, Livet M., Mergoil J., Miallier D.,  Morel J.-M., Vernet G., Vincent P. M., avec la participation de Jannot S. et Raynal J.-P., Volcanologie de la Chaîne des Puys Massif Central Français [5e édition bilingue], Aydat : Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne, 2009, 196 p. et carte au 25000e.

Glangeaud P., "Le portlandien du bassin de lAquitaine", in Bull Serv Carte Géol France, 1898, t. X, n° 62, p. 25-61.
Article librement téléchargeable

Glangeaud P., Lenseignement de la minéralogie à la Faculté de Clermont-Ferrand [Leçon douverture], Clermont-Ferrand : Typographie et Lithographie G. Mont-Louis, 1899, 14 p. Tiré à part numérisé par le laboratoire Magmas et Volcans.

Glangeaud P., "Le volcan de Gravenoire et les sources minérales de Royat", in C R Acad Sci Paris, 5 juin 1900 t. 130, p. 1573-1576.

Glangeaud P., "Esquisse géologique du Massif du Mont-Dore et de la Chaîne des Puys", in Bull Acad Sc, Belles-lettres, Arts Clermont-Ferrand, 1903/1904, 15 p.

Glangeaud P., "Les volcans du Livradois et de la Comté (Puy-de-Dôme)", in C R Acad Sci Paris, 1906a, t. 142, p. 663-665.

Glangeaud P., "Une ancienne chaîne volcanique au nord-ouest de la Chaîne des Puys", in C R Acad Sci Paris, 1906b, t. 142, p. 184-186.

Glangeaud P., "Une chaîne volcanique miocène sur le bord occidental de la Limagne", in C R Acad Sci Paris, 1906c, t. 142, p. 600-602.

Glangeaud P., "Les régions volcaniques du Puy-de-Dôme I - Limagne, Chaîne de la Sioule, etc.", in Bull Serv Carte Géol France, 1909c, t. XIX, n° 123, p. 199-378. Article librement téléchargeable, numérisé par le Laboratoire Magmas et Volcans.

Glangeaud P., "La région volcanique du Forez et ses roches", in C R Acad Sci Paris, 1911, t. 152, p. 160.

Glangeaud P., "Les régions volcaniques du Puy-de-Dôme II - La Chaîne des Puys et la Petite Chaîne des Puys", in Bull Serv Carte Géol France, 1913, t. XXII, n° 135, p. 241-496.

Glangeaud P., "Le cratère-lac Pavin et le volcan de Montchalm (Puy-de-Dôme)", in C R Acad Sci Paris, 1916, t. 162, p. 428-430.

Glangeaud P., "Le groupe volcanique de l'Aiguiller (Mont-Dore), ses volcans secondaires et périphériques", in C R Acad Sci Paris, 1919a, t. 168, p. 733.

Glangeaud P., "Le groupe de superposition (Massif adventif, Angle, Tache)", in C R Acad Sci Paris, 1919b, t. 168, p. 1157.

Gregory J. W., The rift valleys and geology of East Africa : an account of the origin and history of the rift valleys of East Africa & their relation to the contemporary earth-movements which transformed the geography of the world. With some account of the prehistoric stone implements, soils, water supply, and mineral resources of the Kenya colony, London : Seeley, Service & Co. limited, 1921, 479 p.