Geyser et pétrole : des enjeux contemporains

Philippe Glangeaud, le geyser des Martres d’Artières et la recherche pétrolière

Un article inédit de Jean-Pierre Couturié, Maître de Conférences honoraire de l'Université Blaise Pascal.

 

En 1919, les recherches pétrolières reprennent en Limagne, sous l’impulsion de Louis de Launay, inspecteur général des mines, qui confie à Philippe Glangeaud la responsabilité scientifique d’un forage implanté à proximité du bourg des Martres d’Artières.

Le 13 novembre, à 415 m de profondeur, après avoir traversé deux niveaux de bitume dans les marnes oligocènes, le sondage traverse des bancs de grès feldspathique. C’est alors que surviennent les incidents, relatés par Philippe Glangeaud dans une note à l’Académie des Sciences de 1920 : "La sonde pénétra dans une nappe d’eau minérale à 31°C qui jaillit violemment à l’extérieur, sous l’action de l’acide carbonique qu’elle renferme."

              La projection s’éleva d’abord à 15 m du sol, puis, durant quelques jours, le jaillissement fut irrégulièrement intermittent pour reprendre 5 fois de suite une ampleur de plus en plus grande, comme hauteur et comme débit.

"Le 20 décembre, à minuit, une violente explosion réveilla les habitants des villages voisins. Après un repos de 3 jours, sous la poussée de l’acide carbonique, le geyser fonctionnait de nouveau et projetait à l’extérieur une tige de sonde, de 180 m de long, pesant environ 2 tonnes et demie, que l’on avait descendue dans le trou pour reprendre le travail. Le jaillissement cette fois ne dura que 8 heures. Après un nouveau repos de 4 jours, il reprit avec une plus grande violence. L’eau minérale qui émergeait ainsi brusquement d’une profondeur de 415 m., d’abord limpide, se troublait rapidement par la transformation à l’air de plusieurs de ses sels et elle entraînait avec elle une notable quantité de bitume, de sables et d’argiles, provenant des couches qu’elle désagrégeait en route et qu’elle accumulait autour de l’édifice du sondage comme autour du cratère d’un volcan.

              La tour de sondage, la machinerie et les arbres du voisinage furent bientôt incrustés d’une couche de carbonate de chaux blanchâtre, qui donnait au paysage un aspect hivernal. L’activité se maintint constante pendant 9 jours et 8 heures et cessa le 3 janvier pour redevenir intermittente après quelques heures.

               Après 21 jours de repos, le 27 janvier, l’activité geysérienne reprit par une violente projection de gaz, de bitume et d’eau minérale. L’eau sortait par la tige de sondage et entre la tige et la colonne, ce qui diminuait le débit. Dès qu’on put enlever la tige, le débit redevint considérable (80 litres par seconde). Le 28 février nouvel arrêt du geyser après des intermittences de plus en plus affaiblies et une agonie de 2 jours et enfin descente de l’eau dans le trou de sonde, à 150 mètres du jour... "

               Après toutes ces péripéties, qui avaient conduit à la formation d’un gigantesque plat de spaghettis métalliques à côté du forage, la suite de l’histoire nous apprend (Armand 1934) que l’écoulement était devenu continu, avec un débit de 500 l/mn, après la réduction du diamètre du tubage intérieur de 280 à 80 mm. Ce forage a été exploité pour le CO2 durant une vingtaine d’années. Après son abandon, par suite d’entartrage, il a été suivi  de deux autres forages pour le gaz, à proximité.

            L’exploitation par liquéfaction du gaz carbonique a été préconisée en 1906 par le professeur Glangeaud qui avait pris conscience de son importance économique en Auvergne, après l’étude de la Source Empoisonnée près de Montpensier. C’est d’ailleurs à cet endroit que le gaz a été principalement exploité et liquéfié jusqu’en 1987 par la société la Carbonique Naturelle devenue la Carboxyque (production une tonne par jour). Les forages sont actuellement utilisés par un horticulteur pour chauffer plus de trois hectares de serres avec de l’eau qui sort à 43°C. La Carboxique, filiale de l’Air Liquide, exploite actuellement depuis 1991 l’ancien forage pétrolier de Montmirail (26) qui produit 300 tonnes par jour.

               L’intérêt de Philippe Glangeaud pour les recherches pétrolières s’est maintenu pendant plusieurs années. Il a ainsi dirigé les forages de Puy de Crouël en 1920 (p : 856 m), Beaulieu en 1923 (p : 1164 m) et Mirabel en 1925 (p : 1322 m). Ces forages ont été un échec sur le plan économique : ils n’ont produit que quelques centaines de litres de pétrole et plusieurs tonnes de bitume, mais ils ont permis de faire mieux connaître la structure et la stratigraphie du bassin sédimentaire de Limagne.     

 

Bibliographie

ARMAND Louis, Étude des sources gazeuses et particulièrement des sources obtenues par forage dans le bassin de Vichy, Paris : Dunod, 1934, 95 p.

Ann. Institut d’Hydrogéologie et de Climatologie, t. IX, fasc. 2, n° 32.

COUTURIE Jean-Pierre, L'eau et le gaz carbonique, les source minérales intermittentes et les geysers, in Auvergne Sciences, Bulletin de l'ADASTA, juin 1998, n°42. Article librement téléchargeable.